Alors que la crise du logement atteint une intensité inédite, l’Ordre des géomètres-experts bouscule le silence politique et engage un front commun avec les acteurs de la filière pour proposer une stratégie de refondation.
Le logement est en train de devenir une ligne de fracture sociale majeure. Délais d’attente d’attribution en explosion, mal-logement, désertification des territoires ruraux et urbanisation sous tension : les symptômes sont connus, la réponse publique, elle, reste éparse, hésitante, parfois absente. C’est dans ce contexte que l’Ordre des géomètres-experts (OGE) a tenu son Grand débat, du 1er au 3 juillet, lors de ses Universités d’été au Mans. Son titre : « Le logement : l’urgence d’agir avant la crise sociale ». Une formule qui sonne comme une mise en garde et comme une main tendue à la puissance publique.
Un état des lieux sans appel, partagé par tous les experts présents
Animée par le journaliste Samuel Ribot, la première séquence du débat a réuni quatre voix fortes : Bruno Jeanbart (Directeur général adjoint d’OpinionWay), Hervé Bunel (Vice-président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers – FPI), Xavier Prigent (Géomètre-expert et urbaniste) et Roseline Conan (Directrice générale de l’Agence nationale pour l’information sur le logement – ANIL).
Le constat est unanime : la production de logements neufs s’est effondrée à 140 000 unités en 2024, un niveau historiquement bas depuis 1950, alors que la France devra construire près de 4 millions de logements d’ici 2050. Une chute provoquée par une hausse brutale des coûts de construction, des taux d’intérêt prohibitifs, une instabilité réglementaire chronique – et l’absence de cap politique. Huit ministres du Logement se sont succédé depuis 2017.
Bruno Jeanbart a rappelé que le logement reste l’une des premières préoccupations des Français, touchant au bien-être, à la stabilité familiale et à l’équilibre territorial. Hervé Bunel a dénoncé une crise « sans précédent » dans la promotion immobilière, accélérée par la fin du dispositif Pinel. Xavier Prigent a, quant à lui, pointé les effets contre-productifs d’une loi Climat et résilience « trop descendante » et a plaidé pour une densification urbaine intelligemment pensée. Enfin, Roseline Conan a mis en lumière une autre facette de la crise : l’engorgement du parc social et privé, l’augmentation des impayés, et la multiplication des situations de mal-logement.
Une deuxième séquence résolument tournée vers les solutions
La seconde table ronde a réuni Mathieu Pécoul (Vice-président de la Fédération Française du Bâtiment – FFB), Loïc Cantin (Président de la FNAIM), Thierry Asselin (Directeur des politiques urbaines et sociales de l’Union sociale pour l’habitat – USH), et Séverine Vernet, Présidente du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts. Tous ont convergé vers un impératif : redonner de la lisibilité et de la confiance aux investisseurs, opérateurs, et collectivités.
Mathieu Pécoul a appelé à un plan massif de relance de la construction et de la rénovation, insistant sur le lien entre relance du logement et transition énergétique. Loïc Cantin a rappelé que l’investissement locatif privé devait redevenir un pilier de la politique du logement, à condition de bénéficier d’un environnement fiscal stable. Thierry Asselin a défendu une meilleure coordination entre les bailleurs sociaux et les territoires, notamment pour améliorer la rotation dans le parc existant.
Mais c’est la prise de position de Séverine Vernet qui a le plus marqué les esprits : elle a annoncé la création au sein de l’OGE d’une mission transversale Habitat-Logement, destinée à structurer une parole politique forte de la profession. Douze propositions concrètes ont déjà été formulées à la demande de la ministre du Logement, Valérie Létard. Parmi elles : faciliter la surélévation des bâtiments, intégrer un diagnostic des sols dans les documents d’urbanisme, recomposer les cœurs d’ilots, transformer les zones commerciales en quartiers durables, ou encore raccourcir les délais d’instruction en réformant les contrôles de légalité et en limitant les recours abusifs.
Sobriété foncière : sortir de l’impasse idéologique
Plutôt que de contester la trajectoire ZAN (zéro artificialisation nette), l’Ordre propose de la réinterpréter comme un levier d’action, non comme une contrainte technocratique. « Le ZAN, ce n’est pas moins construire, c’est construire autrement », a affirmé Séverine Vernet. Le foncier doit être vu comme une ressource stratégique, non comme une variable d’ajustement. L’Ordre appelle à repenser l’ingénierie foncière, à définir juridiquement le sol en tenant compte de ses dimensions sociales, économiques et écologiques, et à abandonner une logique parcellaire au profit d’une approche territoriale systémique.
Xavier Prigent, lui, a insisté sur le besoin d’une gouvernance plus horizontale : « Il faut écouter les praticiens, les territoires, les élus locaux. Sinon, rien ne sortira plus. »
Un tournant pour l’Ordre, une invitation à la refondation collective
L’absence remarquée du ministère du Logement, qui a annulé sa venue à la dernière minute, a paradoxalement renforcé la légitimité du débat. En s’engageant dans l’arène publique, l’Ordre des géomètres-experts envoie un signal fort : les corps intermédiaires techniques peuvent, et doivent, devenir des forces de proposition. La technicité, ici, ne s’oppose pas au politique : elle le fonde, dans une volonté d’efficacité, de vérité de terrain et de service à l’intérêt général.
Derrière ce débat, c’est une ligne politique qui se dessine : une volonté de sortir des postures pour construire une stratégie de long terme, transversale, intégrée et territorialisée. L’Ordre en appelle à une refondation collective, reposant sur un triptyque exigeant : sécurité juridique, confiance dans les territoires, ambition écologique opérationnelle.
Car face à l’urgence, l’alternative est simple : refonder, ou laisser s’installer une crise sociale durable.