La financiarisation, qui touche aujourd’hui les professions réglementées organisées en Ordre, gagne progressivement la filière des géomètres-experts. Si l’ouverture du capital peut constituer une opportunité de financement et d’innovation, elle fait également peser des risques majeurs : perte d’indépendance, pressions spéculatives et fragilisation de la filière en cas de crise.
Conscient de ces enjeux, l’Ordre des géomètres-experts (OGE) a engagé depuis plusieurs mois un travail approfondi de vigilance et de régulation pour protéger la profession et les missions d’intérêt général qu’elle assure.
L’Ordre interdit toute structuration capitalistique menaçant l’indépendance professionnelle ou exposant la profession à des risques systémiques
En janvier 2025, le Conseil supérieur de l’Ordre a pris une délibération historique en interdisant les montages sociétaires altérant l’indépendance ou présentant un risque systémique pour la profession.
Pour la première fois, l’Ordre érige la préservation de l’indépendance en principe opposable dans l’organisation même des sociétés d’exercice. Il ne s’agit pas seulement de protéger les géomètres-experts individuellement, mais bien de sécuriser l’ensemble de la chaîne foncière et, au-delà, d’offrir la plus large garantie aux citoyens. En dotant la profession de règles internes plus strictes, l’Ordre affirme clairement que l’ouverture du capital ne peut se faire qu’à condition de respecter la mission d’intérêt général qui fonde l’exercice de la profession.
Rappelons à ce titre que l’indépendance est au cœur de l’exercice de la profession de géomètre-expert. Elle garantit la neutralité des décisions techniques et juridiques, condition indispensable pour assurer la sécurité foncière, accompagner l’aménagement durable des territoires et contribuer à un cadre de vie harmonieux.
Or, les montages capitalistiques complexes, portés par des acteurs financiers, tendent à réduire cette autonomie : clauses de majorité renforcée, pactes d’associés déséquilibrés, obligations convertibles en actions… Autant de mécanismes qui peuvent placer le professionnel en situation de dépendance et de vulnérabilité.
La BPI aux côtés de l’OGE
Au-delà de la régulation interne, l’Ordre mène un travail d’audition auprès des opérateurs bancaires ou d’investissement et de leurs régulateurs.
Le 17 juillet dernier, Séverine Vernet, Présidente du Conseil supérieur de l’OGE, Luc Lanoy, premier Vice-président et Hervé Grélard, Directeur général, ont rencontré Éric Versey (Directeur exécutif en charge du financement et du réseau) et Jérôme Rousseau (Directeur, Direction du Financement) de Bpifrance.
Lors de cette rencontre, l’OGE a rappelé les risques liés à la concentration spéculative dans une profession exerçant une mission d’intérêt général. L’institution a aussi souligné la nécessité de développer des solutions alternatives de financement afin de consolider l’économie des cabinets sans porter atteinte à leur indépendance.
Les échanges ont permis d’identifier des leviers pour accompagner la profession dans ses missions.
Plusieurs décisions structurantes ont été actées :
- la mise en place, dès 2026, d’une coordination territoriale entre les directions régionales de Bpifrance et les Conseils régionaux de l’OGE ;
- la préparation d’une convention de partenariat visant à formaliser des dispositifs de prêts, garanties, soutien à l’innovation et accompagnement stratégique.
Dans la continuité, la BPI sera désormais présente lors des Assemblées générales des Conseils régionaux de l’Ordre pour répondre directement aux besoins des géomètres-experts en matière de financement.
Une régulation proactive en lien avec l’État et les autorités financières
En septembre 2025, l’Ordre a poursuivi ses auditions auprès des opérateurs bancaires et de régulation des marchés financiers. Le 4 septembre, Séverine Vernet et Hervé Grélard ont rencontré Didier Deleage, Directeur adjoint en charge de la gestion d’actifs à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Cette rencontre a marqué une étape importante. L’AMF a encouragé l’Ordre à porter une initiative législative pour encadrer la prise de participation des fonds d’investissement dans les cabinets via une réglementation sectorielle.
L’Ordre pourrait ainsi adopter une régulation ambitieuse, reposant sur deux principes :
- toute prise de participation serait soumise à l’autorisation préalable du Conseil régional de l’Ordre qui contrôlerait les pratiques éthiques du fonds d’investissement et demanderait une déclaration d’intention à accompagner notre mission d’intérêt général ;
- les fonds d’investissement seraient ensuite tenus à déclarer les prises de participation dépassant des seuils qualifiés fixés par l’Ordre en vue de prévenir des risques que nous avons précédemment décrits.
Une telle régulation permettrait d’établir un cadre clair et équilibré entre l’ouverture raisonnée du capital et la protection nécessaire du système foncier. Elle donnerait aux Conseils régionaux de l’OGE un véritable rôle de filtre et de contrôle, tout en responsabilisant les investisseurs sur la dimension éthique et sociétale de leur engagement. Par ce dispositif, l’Ordre entend non seulement prévenir les dérives spéculatives, mais aussi favoriser l’émergence de partenariats financiers stables, avec des opérateurs régulés, et compatibles avec la mission d’intérêt général, garantissant ainsi la pérennité des cabinets et la confiance des usagers.
Vers un cercle vertueux
En affirmant son rôle d’autorité de régulation et de compliance, l’Ordre des géomètres-experts vise à instaurer un cercle vertueux où l’investissement devient un levier d’innovation, sans jamais compromettre l’indépendance professionnelle, la confiance du public ni la solidité du système foncier.
Si la financiarisation présente quelques avantages (accès facilité au capital et aux investissements, stimulation de l’innovation, professionnalisation de la gestion, valorisation patrimoniale de la structure, amélioration de l’accès au service pour le client), elle peut aussi comporter des risques. Pour une profession comme celle des géomètres-experts, l’enjeu est de maintenir un équilibre entre : ouverture du capital à d’autres acteurs comme des fonds d’investissement et mission d’intérêt général, au service de tous les citoyens. Cet enjeu s’inscrit aussi dans l’ADN de l’OGE : garantir un cadre de vie durable. Il renforce également la légitimité de la profession qui, chaque jour, concourt à la sécurité du système foncier et des droits de propriété, mais participe aussi à la cohésion des territoires et sert l’intérêt général. Il consolide ainsi la légitimité d’une profession qui, chaque jour, veille à la sécurité du système foncier et à la protection des droits de propriété, tout en contribuant à la cohésion des territoires et au service de l’intérêt général.